O Venezia, Venaga Venusia - Nino Rota

Il Casanova de Felini

(Environ 1100 mots - 6 minutes de lecture)

Nino Rota est célèbre pour avoir collaboré avec Frederico Fellini. La toune O venezia, Venaga, Venusia est tirée de la bande originale du film Casanova.

Si je n’ai pas réussi à regarder le film en entier, sa bande originale me hante depuis que je l’ai entendue pour la première fois. Le climat y est onirique est lourd. Nous allons voir comment cette ambiance est portée par un paysage sonore statique instable, sur lequel se posent des éléments narratifs.

Instrumentation

L’ambiance onirique et inquiétante est posée dès les premières secondes par l’usage d’instruments au sonorités typées tels que le Glass Harmonica ou le Celesta. Plusieurs instruments interviennent à tour de rôle : trompette (bouchée) cor, contrebasse, orchestre de cordes frottées.

Éléments musicaux

Éléments statiques

Le morceau, en 6/8 commence par un ostinato de quatre notes, décrivant un arpège de A-7, qui joue jusqu’à la fin.

Ostinato

Plusieurs motifs se superposent successivement sur cet ostinato :

  • Un premier motif est joué au Celesta (doublé par ce qui semble être un metallophone joué à l’archet) 

Motif joué au Celesta
  • Un second motif est joué au clavecin 

Motif joué au clavecin

On entend également des notes (Si bémol) tenues à la trompette bouchée et au cor. L’ensemble de ces éléments composent une ambiance statique lourde.

Éléments narratifs

Une contrebasse intervient également au moment de l’entrée des cordes frottées. Dans un premier temps elle assoit la tonalité de La mineur. À partir de l’entrée de cette contrebasse le morceau se met en mouvement.

Une mélodie est également jouée à ce qui semble être des Crotales. Cette dernière est basée sur la gamme pentatonique de LA mineur. (ou de DO majeur) Crotales

Structure de la toune

Décor

La pièce commence par l’exposé des éléments statiques. Tout d’abord l’ostinato, sur lequel viennent successivement le motif joué au celesta, les notes tenues, le motif joué au clavecin, puis les mêmes éléments apparaissent dans un autre ordre.

Les différents éléments décrits ci-dessus interviennent d’une façon relativement parcimonieuse. Leur apparition et disparition donne une impression de paysage car ils ont l’air de coexister sans vraiment interagir les uns avec les autres. C’est sur cette toile de fond que se développent des événements musicaux.

Événements

À l’entrée de la contrebasse (1:12) (et d’une cymbale) les choses semblent s’accélérer : les figures rythmiques sont plus rapides. L’orchestre de cordes donne de la profondeur et introduit des nuances.

Peu après l’entrée de la contrebasse on entend les crotales jouer (1:16) un motif polyrythmique, auquel répond une note tenue. Un crescendo amène un changement d’accord (1:40) pour la contrebasse et les cordes (de La mineur à Fa 7) pendant lequel le celesta joue son motif. On retourne en La mineur. (1:56)

Un deuxième crescendo nous amène cette fois en Ré bémol majeur (2:13), soit une tierce majeure au dessus de la tonalité d’origine. Le motif polyrythmique est joué une tierce mineure au dessus de sa tonalité d’origine. L’ostinato, invariable depuis le début du morceau, voit une de ses notes altérée.

Légère modification de l’ostinato

Nous retournons à nouveau en La mineur. (2:29) Le motif de celesta est joué quatre fois : deux fois sur l’accord de La mineur puis deux fois sur l’accord de Fa 7. Cependant, c’est le clavecin qui joue les deux derniers motifs. Les cordes disparaissent.

Le motif du clavecin est ensuite joué par ce qui pourrait être un piano électrique. (2:48) Après une dernière exposition du motif polyrythmique joué au clavecin la harpe et au celesta (3:04) le morceau se termine sur deux tenues de notes.

Créer un climat inquiétant

À l’écoute, cette toune donne un sentiment d’inconfort. La partie statique qui plante le décor semble instable et mouvante. Ce climat est notamment dû à un usage des dissonances.

Dans la toile de fond

Ostinato

Nous l’avons vu, à une exception près, l’ostinato est immuable et décrit un arpège de l’accord A-7. C’est en contraste avec cette colonne vertébrale que Nino Rota crée ce climat, en jouant sur des ambiguités harmoniques.

Notes tenues

L’exemple le plus évident d’utilisation des dissonnances est évidemment ces Si bémol tenus, situés un demi-ton au dessus de la tonalité évoquée par l’ostinato.

Motif du Celesta

Le premier motif entendu, joué au celesta, fait entendre en alternance un arpège de A- et un arpège de Ab- (noté G#), un demi-ton en dessous donc.

Le celesta joue sur deux accords

On peut noter au passage que l’usage du Celesta, au son évoquant une boîte à musique, confère à ce motif un caractère innocent. Cette contradiction entre sons enfantins et dissonnances est au cœur de nombreuses musiques horrifiques.

Phrase jouée au clavecin

Le même procédé est employé sur la phrase jouée au clavecin. Dans sa phase ascendante elle décrit le début d’une gamme de LA mineur, puis elle redescend la gamme de SI bémol mineur.

Le clavecin joue sur deux accords

À mon sens, cette instabilité est renforcée par le fait que la phrase commence par le milieu de sa phase ascendante. La résolution se retrouve alors au milieu de la mesure 2.

Dans le développement du morceau

C’est donc sur ce climat ambigu que se développe la musique. À leur entrée, basse, cordes et crotales renforcent la tonalité de l’ostinato en jouant dans la tonalité de LA mineur.

Cette stabilité ne dure pas : rapidement les cordes décrivent un accord de F7. Celui-ci contient un FA et un MI bémol, venant pour ainsi dire encadrer le mi joué dans l’ostinato. Il ne s’agit pas d’un encadrement à proprement parler puisque le FA est à la basse. Reste qu’on entend une superposition de septièmes majeures et de demi-tons.

Plus tard, la contrebasse et les cordes jouent un accord de Dbmaj7. Les crotales jouent un motif basé sur la gamme pentatonique de MI bémol majeur. L’ensemble donne une couleur lydienne. (avec la note SOL bécarre) Cependant, si l’ostinato fait bien entendre un LA bémol il conserve son MI bécarre. (ou FA bémol…) On a ainsi un accord possédant une tierce majeure et une tierce mineure.

La présence de ce MI bécarre pourrait s’expliquer en considérant que Nino Rota utilise les accords issus de la gamme de LA bémol majeur harmonique. Ce serait alors le FA bécarre qui détonnerait.

Polyrythmie ?

Un élément semble pouvoir rentrer dans le cadre harmonique dans la partie où le morceau se développe. Il s’agit de la mélodie jouée aux crotales. Cependant, c’est rythmiquement qu’elle se démarque puisqu’elle est binaire dans un morceau résolument ternaire.

Conclusion

Il semblerait que Frederico Fellini ne portait pas Casanova dans son cœur. Il dépeint dans son film un personnage antipathique, vénal et malsain, (tout du moins dans ce que j’en ai vu) évoluant dans un univers factice.

Le thème de O venezia, Venaga, Venusia fait écho à ce personnage en employant des éléments musicaux assez simples (de courts motifs) mais en les agençant de façon à ce que le puzzle assemblé ne s’ajuste pas parfaitement.

L’aspect statique d’éléments qui se répètent à l’identique mélangé à l’attente de résolution des dissonances créées par leur juxtaposition crée un sentiment d’inconfort et d’étrangeté propre aux cauchemars.