I’ll be Seeing you - Le Mirifique Orchestra
(environ 1300 mots – 7 minutes de lecture)
I’ll be Seeing You est une chanson écrite par Samy Fain pour une comédie musicale en 1938. Cette chanson a notamment été immortalisée par Billie Holiday en 1944 et fait partie des standards de jazz. Cette toune évoque le manque créé par l’absence d’une personne. Elle aurait été envoyée en guise de chanson d’adieu par la NASA à un véhicule d’exploration martienne lorsque le contact a été rompu !
L’arrangement d’Alban Darche a été joué par plusieurs orchestre, dont l’Orchestre National de Jazz, dirigé par Daniel Yvinec, dans un spectacle rendant hommage à Billie Holiday, Broadway in Satin. Nous nous intéressons ici à la version enregistrée par le Mirifique Orchestra et chantée par Chloé Cailleton sur l’album Oh ! My Love.
Instrumentation
Situé quelque part entre le le big band et la fanfare, le Mirifique orchestra est composé d’une section de bois (saxophone, flûte et clarinette) et d’une section de cuivres. (cors, trompette et tuba) La section rythmique est composée d’une batterie et d’une guitare, la basse étant assurée par le tuba.
Structure de la toune
La chanson est une ballade dont le thème comporte 32 mesures selon une forme ABAC. Le thème est exposé sans introduction, suivi par une partie instrumentale de 16 mesures reprenant dans les grandes lignes la grille originale, mais conduisant à une modulation.
Le chant reprend alors la deuxième partie du thème, qui est jouée une dernière fois sous forme instrumentale. (Le chant intervient cependant encore pour chanter la dernière phrase)
Écoute détaillée
Les relevés qui suivent sont selon toute vraisemblance incomplets quand ils ne sont pas tout simplement faux. La densité de l’écriture ainsi que le retrait des instruments (pour mettre la voix en avant) m’ont rendu la tâche particulièrement difficile…
Premier thème
Le thème est chanté, accompagné par des cuivres jouant l’harmonie dans la tonalité de LA majeur. Voici un relevé de la grille :
L’accompagnement, dense, est essentiellement joué par les vents. Il s’agit d’un mélange d’accords et de contrechants s’appuyant sur la mélodie. Les vents et la voix sont seuls sur les huit premières mesures. La flûte apparaît sur les mesures 7 et 8. Voici un relevé des huit premières mesures de l’accompagnement :
On note la nature contrapuntique de l’accompagnement, dans lequel les instruments sont rarement en homorythmie.
La guitare acoustique fait son entrée à la mesure 9 et arpège les accords. Les instruments à vent marquent les deuxièmes temps des mesures 9 à 12. Une fois de plus la flûte vient ponctuer les mesures 14 à 16, dans une envolée en gamme par tons :
L’écriture est plus homorythmique à l’exception de quelques contrechants ou doublures de la voix. Cependant il apparaît des syncopes (mesures 12, 14 et 15) qui augmentent l’activité rythmique de l’accompagnement.
À partir de la mesure 17, les bois jouent des contrechants se détachant plus de la mélodie principale. L’activité rythmique augmente encore. Aux syncopes s’ajoutent des figures en croches et double-croches. Le langage harmonique se complexifie également: on note certains passages chromatiques (mesures 17 et 19 par exemple) et les accords s’enrichissent. On remarque de plus que les voix centrales jouent à plusieurs reprises des intervalles d’un demi-ton.
Sur la quatrième partie du thème l’écriture se simplifie mais la masse orchestrale augmente encore jusqu’à la mesure 27 où la batterie fait son apparition en marquant les quatre accords joués par l’ensemble de l’orchestre. Le jeu se fait ensuite en homorythmie sur les mesures 28 à 32, à l’exception des instruments tenant des rôles rythmiques : batterie, tuba et guitare.
Après l’acmé de la mesure 27, l’orchestre souligne la dernière phrase de la chanson avec deux montées : la première sur «i’ll be looking at the moon» et la deuxième sur «and i’ll be seeing you». Enfin la section rythmique assure la transition avec la partie suivante à la mesure 32 .
Partie instrumentale
La suite de la toune est instrumentale. La voix intervient dans un pupitre. Les instruments mélodiques sont répartis selon deux voix. La première voix, (saxophone, et cor) joue le thème de la chanson tandis que la deuxième (trompette bouchée, chant, flûte) joue une mélodie aux accents zappaïens.
Dans toute cette partie la batterie accompagne chacune des notes. Les instruments jouant le thème initial répondent à la deuxième mélodie à deux reprises. La batterie accompagne également ces réponses.
La mélodie est riche en chromatismes et est très active rythmiquement. On repère cependant quelques motifs sur lesquels elle est basée.
La phrase d’ouverture comporte l’enchaînement de deux motifs de quatre double-croches composés de mouvements conjoints et d’un saut vers le grave entre les troisième et quatrième double croches. Ces motifs sont suivis d’un chapelet de doubles croches comportant de nombreux mouvements chromatiques. Tout cet ensemble, couvrant une mesure et demie apparaît sous des formes modifiées à trois reprises : aux mesures 1 et 2, 4 et 5 et 9 et 10.
À cette phrase répond un motif en sextolets, qui réapparaît également en réponse à chaque fois. Il est cependant transposé et joué trois fois de suite à la deuxième occurence, mesure 5. On voit ci-dessous la deuxième fois que la phrase d’ouverture est jouée, reprenant les ingrédients décrits précédemment.
Un autre motif remarquable apparaît aux mesures 7, 8, 12 et 13. Il s’agit d’un enchaînement de motifs, la plupart du temps en tierces mineures, et transposés, ce qui résulte en un sorte de gamme brisée comportant de nombreux chromatismes, chaque motif étant une double approche de la première note du motif suivant. Ces enchaînements sont introduits par une descente sur les trois premières notes. À la mesure 8, le motif est prolongé.
Les mesures 9 à 11 voient réapparaître la première phrase sous une forme quasiment identique : Les trois dernières notes sont transposées d’une octave.
Le motif en gamme brisées est invoqué deux fois dans les mesures 12 et 13, en étant relié par des montées, chromatiques elles aussi. Le deuxième motif est une transposition exacte du premier à la quinte supérieure.
Les quatre dernières mesures consistent en un jeu sur les tons guides, en notes tenues et répétées. La fin de la grille est différente du thème initial et introduit une modulation en RÉ majeur.
Sur ces quatre dernières mesures tout l’orchestre joue en homorythmie. Les notes écrites étant la note la plus aiguë de chaque accord. La dernière note est en fait jouée à la première mesure du thème suivant.
Reprise du thème
Le chant reprend le thème dans la tonalité de RÉ majeur. Seuls la batterie, la guitare et le tuba l’accompagnent. Cet allégement de l’orchestration crée un grand contraste après avoir utilisé la totalité de la masse orchestrale. Un contrechant improvisé est assuré par le saxophone. Il est à noter que seule la deuxième moitié du thème est jouée.
Dernier thème
Ici encore, seule la deuxième moitié du thème est jouée. Le chant chante la mélodie sans les paroles tandis que l’orchestre reprend les grandes lignes de l’accompagnement du premier thème, avec certains changements d’instruments, peut-être liés au changement de tonalité.
La voix reprend le texte pour les deux dernières phrase : I’ll find you in the mornig sun ; and when the night is new, i will be looking at the moon and i’ll be seeing you. La toune se termine en point d’orgue sur cette dernière syllabe.
Conclusion
L’album Oh ! my love d’où est tirée cette version d’I’ll be seeing you est dédié aux chansons d’amour issues de différents répertoires. On y trouve des adaptation de chansons, d’air d’opéra et de standards de jazz.
Si cette version de la chanson commence d’une manière traditionnelle étant donnée la composition de l’orchestre, elle surprend et touche par son intermède instrumental. Le contraste par rapport au rythme d’une ballade ainsi que l’abondance de chromatisme résonne par rapport au thème de la toune en cela qu’ils évoquent l’agitation dont on peut être la proie lors de l’absence de l’être aimé. L’orchestre manque littéralement ses notes.