Ciao Capitano – The Very Big Experimental Toubifri Orchestra
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The Very Big Experimental Toubifri Orchestra est un big band de la région lyonnaise. Son répertoire, très varié, mélange, parfois avec humour, des musiques considérées comme érudites (en particulier des musiques balinaises) avec des formes populaires, voire considérées comme mineures, le tout avec un grand sérieux et un grand sens du détail. Cette orientation est d’ailleurs donnée par le nom même du groupe, qui juxtapose Experimental et Toubifri, en référence au célèbre boy’s band français.
La toune Ciao Capitano, sortie en 45 tours dans le sillage de l’album Dieu Poulet est inspirée des grands succès de la variété italienne.
Instrumentation
L’orchestre est composé d’une section rythmique complète (guitare, clavier, basse et batterie) à laquelle s’ajoutent habituellement des percussions clavier ainsi qu’une deuxième batterie pouvant jouer des synthétiseurs. Les vents sont composés d’une section de bois (flûte, clarinette et saxophones) et d’une section de cuivres. (trompettes, trombones, tuba) La partie vocale principale est assurée par l’un des saxophonistes (connu sous le nom de Captain Saxo) et soutenue par des chœurs féminins assurés par deux instrumentistes de l’orchestre.
Structure de la toune
Le morceau suit la structure classique d’une chanson de variété. Après une introduction en grande pompe, on voit s’enchaîner deux cycles de couplet et refrains. S’ensuit un pont instrumental (avec un solo de saxophone) qui débouche sur un dernier cycle couplet-refrain, puis une coda instrumentale.
Écoute détaillée
La toune est émaillée de références plus ou moins explicites à des chansons existantes. Certaines références citées dans la suite peuvent être le fruit de mon imagination. Il est également possible que certaines m’aient échappé.
Introduction
Un appel de batterie introduit le morceau. Il n’est pas sans rappeler l’introduction de la chanson Sara Perché Ti Amo de Ricchi e Poveri. L’orchestre joue alors tutti un motif mélodique de deux mesures et le transpose selon une marche.
La grille évoque une tonalité de DO majeur en enchaînant les degrés ii-V-I-IV-ii-V. L’introduction est alors subitement interrompue : l’orchestre se tait, laissant la place au clavier seul annonçant le couplet.
Couplets et refrains
Le contraste est saisissant : d’une part la masse orchestrale disparait d’un coup, mais la tonalité passe en Si bémol majeur sans transition. On pense une fois de plus à Sara Perché Ti Amo : le clavier (au son de Wurlitzer) joue des accords à la croche et accompagne seul le chant. Dans un premier temps il alterne entre une couleur suspendue sur deux temps et majeure.
Le Capitaine chante sur quatre mesures. Les voix internes du clavier soulignent la mélodie du chant. La guitare, la basse et la batterie lui répondent sur les quatre mesures suivantes. Les changements d’accords sont anticipés d’une croche, ce qui donne de l’impulsion à la chanson. De même, dans la deuxième partie du couplet la batterie marque la pulsation au charlet.
La deuxième partie du couplet s’enchaîne avec une intervention supplémentaire de la rythmique en réponse au Capitaine à la fin de la deuxième mesure. On pense une fois de plus à la chanson Sara Perché Ti Amo.
Le refrain suit en développant les éléments précédents : la rythmique joue le contrechant tout en assurant un accompagnement pop rock. Le piano continue de jouer les accords à la croche.
Sur le plan harmonique, le refrain reprend en partie les formules du couplet. On remarque cependant l’ajout de mouvements de basse sous les accords statiques et l’emploi d’une cadence plagale mineure pour conclure. Un chœur féminin répond alors au chant.
Un deuxième couple couplet-refrain s’enchaîne avec quelques aménagements. Dans la première partie du couplet des claps et de claquement de doigts sont ajoutés au charlet. Dans la deuxième partie la batterie joue la caisse claire sur les deuxièmes et quatrièmes temps. Le contrechant du refrain est doublé par un glockenspiel et un synthétiseur. On note également l’apparition d’un tambourin à la croche.
Solo de saxophone
Le solo de saxophone est introduit par une modulation : l’accord de Mi bémol mineur sert de pivot pour passer en tonalité de Ré bémol majeur, qui se rapporte à la tonalité de Si bémol mineur, parallèle à la tonalité d’origine, Si bémol majeur. La suite de la grille joue sur l’ambiguïté majeur/mineur. Notamment entre les mesures 4 et 6 où les accords qui se succèdent sont en fait à chaque fois les cinquièmes degrés des accords qui les suivent. Nous sommes en Si bémol mineur, et le seul accord de Si bémol entendu est donc majeur !
Les deux premières mesures du solo sont une citation du solo de saxophone d’Au Bout de Mes Rêves de Jean-Jacques Goldman, qui a lieu sur la même suite harmonique mais dans une autre tonalité. La section de vents du big band répond au saxophone à partir de la mesure 8. La douzième mesure du pont correspond à la première mesure du couplet suivant et est jouée au clavier seul.
Couplet et refrain finaux
Le clavier reprend les accords du couplet en les jouant une octave au dessus. Le chant est interprété par deux voix féminines. Au changement d’accord, charlet et claps reviennent. Seule la moitié du couplet est chantée. Le refrain suivant et semblable au deuxième refrain à ceci près qu’il est chanté à l’unisson entre le Capitaine et les deux voix féminines.
Coda
La coda est basée sur le thème d’introduction et la séquence harmonique ii-V-I-IV-ii-V-ii/ii-V/ii-ii-V. Tout d’abord le clavier joue seul la séquence harmonique dans la tonalité de Si bémol majeur.
L’orchestre fait son entrée à la septième mesure. Les accords poursuivant la marche (Ré mineur et Sol) servent de pivot vers la tonalité de Do majeur, dans laquelle ils ont effectivement les rôles de deuxième et cinquième degrés. La progression harmonique est donc réinitialisée à ce moment dans la nouvelle tonalité. La nouvelle séquence est alors jouée trois fois.
À partir de la mesure 11 un motif prend le relais en étant transposé. Il semble suggérer la tonalité de Do mineur. Le motif est réduit et inversé lors de ses deux dernières occurrences (mesure 13), ce qui donne un effet d’accélération. Cet effet est accentué par le fait que la coda reprend sur le dernier temps de la mesure 13. Les accents sont alors décalés pendant les deux premières mesures du cycle suivant.
Un nouveau solo de saxophone ténor a lieu à la dernière reprise. Les mesures 11 à 13 ne sont alors jouées que par la section rythmique. Le morceau se termine par un rappel de la 11ème mesure du solo de saxophone, transposée dans la tonalité de Do majeur.
Conclusion
Avec Ciao Capitano, The Very Big Experimental Toubifri Orchestra nous offre une bouffée d’humour et d’autodérision. Les différentes allusions au répertoire existant renforcent la cohésion de la toune, lui donnant un air de titre d’époque qui aurait été redécouvert de nos jours. (Il faut d’ailleurs jeter un œil à la pochette du disque)
Bien que la portée humoristique de la chanson est indéniable, on retrouve un certain nombre de dispositifs d’écriture sophistiqués. On pense en particulier aux modulations soudaines ainsi qu’au décalage rythmique apparaissant dans la coda. Ces dispositifs créent des effets de surprise dans le contexte familier de la musique de variété.
Il faut également écouter la face B, qui nous amène aux frontières du smooth jazz et du mauvais goût. 😉